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Peut-on encore draguer...

Peut-on encore aborder une femme dans la rue ?

LE MONDE | • Mis à jour le

Par Maïa Mazaurette

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Série Love, Love, Love, L’ombre du baiser, Paris Septembre 2000 | CYRIL ENTZMANN / DIVERGENCE

Harcèlement, sifflements, cris d’oiseaux – la séduction sur la voie publique a mauvaise presse. Avant même d’aborder le nerf de la guerre, rappelons une dure réalité : séduire dans la rue, ça ne marche pas, ou peu, et de moins en moins.

Selon les statistiques de l’Institut national d’études démographiques (INED, Michel Bozon, 2013), à peine 5 % des couples se rencontrent ainsi, contre presque 15 % en 1960... Et encore, en mettant dans cette même catégorie la vie de quartier et le voisinage.

En somme : si vous voulez séduire en 2016, la rue est certainement le pire choix possible. Après s’être longtemps tues, après avoir été ignorées ou traitées de menteuses, les femmes ont massivement pris la parole. Pour dire qu’elles n’aiment pas ça. Du coup, on se demande bien pourquoi aller au casse-pipe (les auspices seront bien plus favorables à une soirée entre amis, pendant les études ou au travail). Statistiquement, les femmes sont plus réceptives aux tentatives d’approches dans des lieux privés.

Eviter de vous transformer en gêneur

Mais d’accord. Aborder n’est pas (forcément) harceler. On peut avoir un coup de foudre et refuser de laisser passer sa chance. On peut être amusé par le défi consistant à draguer dans les pires conditions.

Mon premier conseil pour éviter de vous transformer en gêneur serait de n’aborder que les femmes désirant être abordées. Vous n’êtes pas télépathe ? Dommage, hein. Mais même sans télépathie, vous pouvez facilement repérer les femmes qui ne veulent pas être abordées : elles ont intentionnellement rendu la communication impossible ou difficile. Elles portent des écouteurs. Elles téléphonent. Elles regardent leurs pieds.

Si vous devez interrompre une activité, laissez tomber. Une femme qui marche rapidement est, par définition, pressée. La rue est fonctionnelle. Elle sert à aller quelque part, avant de servir d’espace de convivialité. En perturbant un sprint, non seulement vous mettez votre interlocutrice en retard à la crèche ou devant Netflix, mais vous montrez très clairement que vous vous fichez de ses priorités et que votre intérêt passe en premier. Admettez que c’est mal parti.

C’est tout aussi vrai quand la personne court ou fait du sport (selon une récente étude de Runner’s World, 43 % des femmes sont régulièrement harcelées pendant leur footing et 54 % d’entre elles ont peur d’être agressées – pour 80 % d’entre elles, les remarques subies et les interruptions sont un vrai dérangement).

Ne pas mentir sur votre objectif

Faites aussi attention aux regards flottants, indiquant la rêverie, la préoccupation, l’absence. C’est important. Les femmes ont peu d’occasions de s’oublier (en particulier d’oublier leur apparence). Si vous sentez la passante perdue dans ses pensées, ne renvoyez pas au sexe, au matériel. Laissez-la rêver. Si elle court, laissez-la se relâcher et ne penser à rien.

Si vous trouvez la passante de vos rêves et qu’elle est disponible, affichez clairement la couleur. Ne prétendez pas demander l’heure ou vouloir « juste prendre un café ». Car s’il y a bien un facteur à prendre en compte, c’est que vous n’êtes pas le premier à tenter une approche... et que vous n’êtes même pas le millième.

Je ne plaisante pas : à trois interactions par jour dans une grande ville (grand minimum), une femme a été abordée, sifflée, jugée, au moins mille fois dans l’année écoulée. Elle connaît tous les baratins possibles. Il est donc particulièrement abusif (et culpabilisant) de demander un traitement spécial, une attention unique, quand vous utilisez non seulement la stratégie la plus banale, mais celle utilisée par les plus insistants des hommes. (Mais je tiens à préciser que bien sûr, les femmes aussi peuvent aborder, et les gays, lesbiennes, bi, trans, queer. Evidemment !)

Dans tous les cas, si vous abordez, ayez la gentillesse de ne pas mentir sur votre objectif. Déjà parce que c’est respectueux. Ensuite parce qu’on ne vous croira jamais : comment se fait-il que comme par hasard, sur cent millions de Parisiens (selon les manifestants), vous demandiez votre chemin justement à une femme attirante ? Comment se fait-il que vous ne vouliez pas « juste être ami » avec le très sympathique retraité installé sur le banc – et qui serait infiniment reconnaissant que vous engagiez la conversation ?

Si ça ne marche pas, n’insistez pas

Revenons donc à votre énorme coup de cœur (il est exceptionnel, c’est-à-dire que vous n’en êtes pas au quarantième aujourd’hui). Vous avez vérifié que la belle inconnue est disponible, idéalement vous avez échangé un regard, encore plus idéalement un sourire.

Vous ne la prenez pas pour une idiote en prétendant qu’il s’agit d’une simple interaction désintéressée. Vous lui dites clairement qu’elle vous plaît – et pourquoi. Les femmes savent bien que si vous les abordez dans la rue, vous ignorez tout de leur métier, de leurs passions – il ne reste d’elles que le physique.

Alors pourquoi ce physique en particulier ? Vous pouvez dire que son style vous intrigue. Ou qu’elle vous rappelle une ex. L’idée étant de personnaliser : de montrer qu’il s’agit d’un désir spécifique et non aveugle.

Si ça marche, tant mieux. Si ça ne marche pas, n’insistez pas. Puis-je insister sur le fait de ne jamais insister ? Vous avez déjà eu votre réponse : de même que vous avez jugé cette femme sur les apparences (mais si), elle vous a jugé sur les apparences, et vous ne lui plaisez pas, et vous ne la convaincrez pas.

Insister vous rapproche de la figure du prédateur, parce que vous ne respectez pas le bon vouloir de l’autre. Je ne vous apprends pas que les femmes sont violées. Souvent. Quand on passe outre les mots, on pourrait bien passer outre le reste. Acceptez le verdict, passez gracieusement votre chemin, vous n’avez de toute façon plus rien à gagner.

Ne blâmez pas les femmes

Puisqu’il faut bien parler de menace : n’abordez pas une femme qui vous tourne le dos, ne la touchez pas, et par pitié, n’abordez pas de nuit dans une ruelle déserte et mal éclairée (sauf à restreindre la liberté des femmes à occuper la ville de nuit, laquelle est prioritaire sur votre droit à la drague tout terrain).

Si vous ne comprenez pas pourquoi c’est important, je vous renvoie aux vidéos tournées en caméras cachées, aux milliers de témoignages disponibles, au Projet Crocodile, et aux chiffres gouvernementaux (100% de femmes harcelées dans les transports).

Je sais que cela peut paraître beaucoup. Trop agressif. Trop de recommandations contre de simples « bonjour ». Vous pouvez regretter les temps jadis, mais ne blâmez pas les femmes, ni moi-même écrivant cet article : blâmez ceux qui nous harcèlent tous les jours.

Nous ne nous levons pas le matin en ayant envie de nous sentir agressées – nous n’y avons pas intérêt. Bien sûr que nous aimerions faire de belles rencontres, être plus ouvertes aux surprises. Mais l’expérience accumulée existe. Nous ne sommes pas des poissons rouges.

Une fois encore, vous n’êtes ni le premier ni le millième – au mieux pouvez-vous être le bon. Ce qui explique pourquoi, malgré tout cela, vous pouvez encore tenter votre chance. Sous les conditions suivantes : si vous reconnaissez que vous employez la stratégie la moins populaire du moment, si vous acceptez de perdre, et si vous êtes bon perdant.

Chaque dimanche matin, Maïa Mazaurette signe une chronique sur le sexe dans La Matinale du Monde.

Par Maïa Mazaurette

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